Cpl. Lucien C. Vallée, F Coy, 2n SS Bn. RCRI, Guerre d’Afrique du Sud., 1900, Raconte, Paardeberg.

Québec “F” Coy, 2n SS Bn. RCRI, Regt., No. 7840 Corpl. Vallée, L.C., de 65e Mount Royal Rifles. Lettre Du Soldat Lucien Vallée (Fils ou Gouverneur Se La Prison) Éloges Du Colonel Pelletier. — Notes De La Bataille De Paardeberg. — Les Boers Ont Peur Des Canadiens Et Croient Que Nos Soldats Sont Des Sauvages.

Camp de la 19e Brigade, près Bloemfontein, Afrique-Sud, 21 mars 1900. — Ma bien chère maman, ENFIN! je trouve quelques instants pour vous écrire. Depuis plus d’un mois je me suis trouvé dans l’impossibilité de vous donner de mes nouvelles. Le 13 février nous partions de Graspan, il va sans dire à pied, pour couper la retraite de l’armée de Cronje et secourir Kimberley. Mon bataillon forme partie de la 19e Brigade de la 9e division, dont il est le 4e régiment. Les autres régiments dans notre brigade sont: Les Gordon Highlanders, Duke of Cornwall Light Infantry et les King’s Shropshire Light Infantry. Nous avons marché pendant quatre jours, de quinze à vingt milles par jour, et après quelques coups de canon nous avons pris Jacobsdale. Nous sommes partis dès le lendemain en route pour Kimberley, mais après quelques jours de marche nous dûmes changer de direction, une estafette nous ayant avertis que Kitchener était à la poursuite de Cronje. Cette journée-là nous nous étions reposés à peine depuis quelques heures lorsque nous fûmes forcés de repartir à cinq heures p.m., et faire une marche forcée de vingt-trois milles durant la nuit. Le lendemain, 18 février, l’ennemi étant en vue, nous nous arrêtâmes à Paardeberg Drift vers les cinq heures a. m. Sans même prendre de repos ni déjeuner nous traversâmes la rivière Modder, nous avions de l’eau jusqu’au cou, je vous assure que plusieurs des petits faillirent se noyer.

L’artillerie royale nous avait précédés dans l’attaque afin de nous permettre de contourner les flancs des Boers. Une de nos compagnies, aidée des Gordons, s’empara immédiatement de trois petits kopjes que l’ennemi occupait et par ce fait le cerna complètement, sa retraite lui étant coupée d’autre part par la rivière. En moins d’un quart d’heure nous avions traversé la rivière avec les Cornwalls et deux compagnies de Shropshires et nous nous avancions en ligne de tirailleurs vers les Boers. L’artillerie vint occuper les trois petits kopjes et nous, nous attaquions l’ennemi de tous les côtés à la fois. Pendant toute la journée nous avons essayé de les déloger de leur position, mais en vain, ils étaient trop fortement retranchés, les rives de la rivière, minées par l’eau, les mettaient à couvert de notre feu. A chaque moment je voyais tomber de mes camarades et j’avais bien peur que la balle suivante ne me fût fatale. Nous étions couchés à plat ventre par terre sans pouvoir remuer, de crainte d’être un point de mire. Nous étions déjà mouillés jusqu’aux os lorsque pour comble un orage s’abattit sur nous vers les onze heures. Le capitaine Pelletier qui était déjà malade depuis quelque temps, fut pris d’une indisposition et perdit connaissance, nous fûmes obligés de le transporter à l’hôpital; cependant, notre brave capitaine revint nous rejoindre dans l’après-midi. Tous les quarts d’heure nous avancions d’une trentaine de pas et les Boers reculaient toujours. Dans l’après-midi nous fîmes deux charges à la baïonnette qui avait un effet terrifiant sur l’ennemi. J’ai encore à l’idée les lamentations d’un pauvre Cornwall qui venait d’être blessé à mes côtés, on se préparait à le porter en arrière lorsqu’il reçut une nouvelle balle entre les deux épaules! Il mourut trois minutes plus tard.

Le feu cessa à la tombée du jour, vers les huit heures, nous retraitâmes alors du côté de l’hôpital pour y passer la nuit. Faute de provision, nous dûmes manger nos rations d’urgence. Ces rations sont contenues dans une petite boîte de fer blanc, divisée en deux, d’un côté quatre onces de cocoa et de l’autre quatre onces de viande concentrée; cette portion est supposée suffisante pour maintenir la force d’un homme pendant vingt-quatre heures? Nous n’avions qu’une couverture pour trois ou quatre hommes. Le lendemain, nous eûmes un bon repas; ensuite on fit l’appel…Hélas! je vous assure, ma bien chère maman, que le lendemain d’une bataille est bien plus triste que le jour même du combat. Au nombre des joyeux camarades qui nous suivaient la veille, chantant les gais refrains du pays, plus de cent manquaient à l’appel de leur nom!…Us étaient tombés en héros au champ d’honneur, burinant une nouvelle page de gloire dans les fastes militaires de notre cher Canada.

Après l’appel, une partie des hommes fut employée toute la matinée à enterrer les morts et ramasser les blessés qui étaient restés sur le champ de bataille. Quel triste spectacle s’offrit à nos yeux en parcourant le théâtre de la veille! Gamelles d’un côté, gourdes de l’autre; uniformes épars, des morceaux de charpie et de bandages répandus partout. Et nos pauvres blessés, quelle souffrance n’ont-ils pas endurée durant cette horrible nuit? Pour nos morts offrons une prière au Dieu des combats et remercions-le ensemble de la protection qu’il m’a accordée. Plusieurs de nos hommes qui avaient été blessés la veille, ont succombé durant la nuit, qui a été bien froide.

 

Cpl. Lucien C. Vallée, F Coy, 2n SS Bn. RCRI, Guerre d’Afrique du Sud. 1900.

Les Boers se servent indubitablement de balles explosives, car plusieurs de nos morts avaient des blessures énormes. Un nommé Lester, de Montréal, qui demeure près de chez nous, a reçu, dans la bouche, une balle dont l’explosion lui a fracassé le crâne. En tout, nous avons eu vingt-cinq morts et plus de quatre-vingts blessés. Le capitaine Arnold, qui avait été blessé grièvement, est mort plus tard de ses blessures. Ce devoir accompli auprès de nos morts et blessés, nous avons pu nous reposer le reste de la journée. Je vous assure que nous méritions bien ce petit farniente, après avoir été trente-six heures sans nous reposer et rien manger.

Le 20, nous avons eu une autre escarmouche, avec les mêmes Boers. Ils avaient un canon Nordenfeldt (one pounder), qu’ils pointèrent sur nous, et dans le cours de la journée, trois hommes furent blessés. Nous passâmes le reste de la semaine en avant-postes et devoirs divers. Nous avions nos repas très irrégulièrement, sans compter que nous étions à la demi-ration depuis notre départ de Graspan, et l’eau était très rare. Nous avions deux biscuits (hard tack) par jour. Le temps des pluies est commencé, et tous les jours, il pleut ; comme nous bivouaquons partout où nous allons, et que notre couverture est notre seul abri, nous sommes presque toujours trempés jusqu’aux os.

Le 25, nous reçûmes l’ordre d’aller occuper les tranchées près des positions boers. Nous devions passer quarante-huit heures en devoir; mais, le soir, un contre-ordre survint de faire une attaque de nuit. Profitant de l’obscurité, les Gordons vinrent nous rejoindre dans les tranchées, nous avions ordre de ne point leur parler ni de faire de bruit, afin de ne pas donner l’alarme. Nous nous sommes préparés toute la soirée et à deux heures du matin, le 27, nous sortions des tranchées, la baïonnette au canon. Les Gordons restèrent dans les tranchées. Nous nous avançâmes en deux lignes de tirailleurs; le rang de serre-file portant des pelles et des piques, devait nous creuser des tranchées pendant que nous attaquerions. Nous avions marché à peu près sept cents verges, lorsque nous fûmes reçus par une vive fusillade provenant des tranchées boers, qui n’étaient qu’à vingt pas de nous environ.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, tout le monde était étendu par terre. Nous avions ordre formel de ne point tirer afin de ne pas donner notre distance, mais, malheureusement cet ordre fut enfreint par quelques-uns de nos hommes. Le soldat P. . . qui se trouvait à mes côtés, tira deux coups et au deuxième il reçut une balle dans le coude; s’il n’eût pas tiré, certainement qu’il n’aurait pas été blessé. Les Gordons qui étaient dans nos tranchées se mirent aussi de la partie en envoyant plusieurs volées qui eurent leur effet, ce qui nous permit de retraiter vers les retranchements préparés pour nous par notre rang de serre-file. Là nous continuâmes le feu jusqu’au matin. Vers les six heures nous aperçûmes un Boer qui faisait des signes avec un mouchoir blanc; le feu cessa et il s’avança vers nos lignes, il nous dit qu’ils (les Boers) voulaient se rendre. Leur reddition fut acceptée par lord Roberts, sans conditions. Nous fîmes plus de quatre mille prisonniers y compris le fameux général Cronje, c’est jusqu’à présent la plus importante capture de la guerre, et un grand nombre de transports, provisions, munitions, deux canons Maxim et quatre Krupp.

Dans cette bataille, nous avons perdu treize hommes tués et plus de quarante blessés. Je vous assure que c’est seulement à cette bataille que je me suis senti énervé, car un de mes camarades a été tué raide à ma gauche et un autre à ma droite a reçu cinq balles, il est mort dans l’avant-midi. Dans ce dernier engagement, ma compagnie à elle seule a eu six morts et dix blessés.

Les Boers ont une peur terrible des Canadiens, ils nous prennent tous pour des sauvages; nous sommes à prime, dix schellings sont offerts pour un Canadien, mort ou vif. Je crois que c’est celte peur qu’ils avaient de nous qui les a forcés à se rendre. Quand, après la bataille, nous nous sommes avancés dans le laager des Boers nous y avons trouvé quantité de provisions que nous avons fait disparaître en fort peu de temps, car nous étions minés par la faim, ayant été à la demi-ration depuis notre départ de Graspan. Nous avons passé quelques jours dans le laager; pendant ce temps, nous faisions l’inventaire de notre capture et donnions la sépulture à nos morts.

Le 7 mars, nous avons fait un grand déploiement de troupes pour déloger les Boers de deux positions qu’ils occupaient de chaque côté de la rivière Modder, Osfontein et Poplar Grove. Notre mouvement a parfaitement réussi et après quelques coups de canon, l’ennemi abandonna sa position ainsi qu’un canon Creusot (modèle 90 lbs.) Nous avons fait cinq cents prisonniers et capturé un certain nombre de transports. Dans cette journée nous avons marché plus de vingt-trois milles et avons forcé la retraite d’une cavalerie nombreuse qui tenait notre avant-garde en échec. Après nous être reposés pendant une journée, nous avons marché sans opposition jusqu’à Bloemfontein, où nous sommes maintenant. Bloemfontein n’a presque pas fait de résistance.

 

Ville du Québec, Canada, monument, mémoire des soldats Guerre Afrique Anglo-Boer, 1899 – 1902.

Depuis que nous sommes partis de Graspan, nous avons fait au delà de cent quatre-vingt-dix milles. Notre bataillon a reçu les compliments les plus flatteurs de toutes parts; des télégrammes de félicitations nous arrivent encore tous les jours. Le généralissime lui-même. Lord Roberts, nous a dit: Que nous pouvions marcher la tête haute et fière, que nous étions les égaux de n’importe quel régiment anglais. Dans toutes ces différentes batailles, c’est le lieutenant-colonel Pelletier, de Québec, et le lieutenant Ogilvie, qui se sont montrés les plus braves.

Quant à moi, je ne puis pas dire que j’ai eu peur, car j’allais au feu, à vrai dire, sans songer à la gravité de la situation; je prenais cela plutôt pour un exercice que pour la réalité. J’ai été étonné de moi-même. Vous pouvez parler sans crainte de moi; j’ai toujours suivi mon régiment partout, j’ai assisté à toutes les batailles et n’ai jamais tiré en arrière…

 

1er avril. — Bloemfontein est une très jolie ville sise dans une vallée et entourée de montagnes; elle n’est fortifiée que par deux forts situés sur ces montagnes; les rues sont larges et très bien pavées. Hier, notre régiment est encore parti pour la ligne de combat. Il paraît que les Boers sont à vingt-cinq milles d’ici et qu’ils sont au nombre de vingt mille.

Les Anglais ont eu un échec, ce matin. Lord Roberts a reçu un ultimatum lui donnant vingt-quatre heures pour évacuer Bloemfontein, mais il n’a pas beaucoup l’air de s’occuper de cela. J’ai suivi le régiment quatorze milles, mais j’ai dû revenir sur mes pas; mes chaussures étaient défoncées et je souffrais de rhumatisme dans les jambes. Je suis revenu à Bloemfontein, chanceux de rencontrer une voiture en chemin. Arrivé à la ville, il était huit heures du soir, et je n’avais pas mangé depuis le matin; j’allai frapper à une porte pour me renseigner où je pourrais me procurer à manger, mais la dame qui vint me répondre me fit entrer et me servit un succulent souper. Je devais être chez des personnes très riches; la maison était somptueusement meublée; dans la salle à dîner, un pan de mur était couverte de belles fresques. Je suis retourné au camp vers dix heures et demie, et j’ai dû me coucher sans couverture, pas même de capote, la mienne étant restée sur les fourgons du train.

Vous devez remarquer que ma lettre est pas mal décousue; j’ai eu à la reprendre tant de fois. J’ai envoyé par la poste une boîte de chocolat de la reine; je me la suis procurée pour cinq schellings, pour remplacer la mienne, qui m’avait été volée, dans le temps. Dans la boîte, vous trouverez un certain nombre d’enveloppes que j’ai ramassées dans le laager des Boers, après la bataille du 27 février. J’ai reçu les journaux et vos lettres datées du 25 février, ainsi que les cigarettes, qui m’ont fait un énorme plaisir. Les cigarettes n’étaient pas trop sèches, mais elles étaient passablement aplaties; n’importe, quand on est à la guerre et que l’on ne peut s’en procurer qu’à deux schellings le paquet, ça fait du bien. Nous payons des prix fabuleux pour nous procurer les moindres douceurs; ainsi, nous payons le beurre, trois schellings; le sucre, deux schellings, et encore, ce n’est que de la cassonade; un petit pain, comme chez nous, vaut deux schellings.

Comme vous le voyez, avec notre prêt, il nous est bien difficile de satisfaire des appétits de Gargantua. Mais, après tout, je m’en console en songeant qu’il y a sous la calotte des cieux bien des êtres plus malheureux que nous sous ce rapport. Quant à moi, je suis content, heureux et joyeux. A la guerre comme à la guerre!…

Le capitaine Peltier est encore bien malade et n’a pas rejoint le régiment…Le colonel Pelletier, qui a été blessé à la bataille du 27, est revenu au régiment. Je vous assure que c’est un brave.

Excuser le papier sale; on n’a pas toujours les mains propres…Je vous embrasse de tout coeur, ma bien chère maman, et vous prie de croire à la sincère affection de…Votre fils tout dévoué,

  • LUCIEN – C. VALLÉE, Caporal à la Cie F, R. C. R. I.

 

 Spañard

 

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